E.Hopper, Le Phare , 1937

E.Hopper, Le Phare , 1937

mercredi 20 avril 2022

Analyse d'oeuvre : OUR TOWN de Kerry James Marschall par Robinson Bourlet de la Vallée

 

Kerry James Marschall, né en 1955, est un peintre et graveur américain.

Il est issu d’un milieu très modeste. Durant son enfance, il subit les émeutes raciales qui vont se dérouler aux États-Unis entre les années 1950-1970. Il va être marqué par ces événements et par la condition des afros-américains aux États-Unis.

Sa maison se trouvait juste à côté du siège des Black Panther Party, un parti révolutionnaire afro-américain. Il décide de s’engager très jeune à défendre les droits des afros-américains.

Il fait ensuite des études d’art à L’Otis College Art and Design, une école d’art située à Los Angeles. Kerry James Marschall devient vite un artiste reconnu, il a notamment enseigné l’art à l’Université de l’Illinois, une prestigieuse école à Chicago. Il atteint la consécration en 2013 lorsque Barack Obama le nomme au Conseil des Arts et des Lettres des États-Unis.

Sa conscience sociale se ressent dans sa peinture, le thème des afros-américains est central, il montre comment ils sont rejetés de la société américaine, les conditions dans lesquels ils vivent …

 

Le tableau est une acrylique sur toile.  On voit 2 enfants noirs qui semblent s’amuser dans une rue. Le tableau est agréable aux premiers abords, il est très coloré avec des couleurs vives, comme le vert, le bleu et le rouge, mais aussi des couleurs plus sombres comme le noir et le gris. On remarque un contraste noir/blanc important.

Le tableau se découpe en 2 plans : au premier plan, une fille et un garçon afro-américains qui « semblent »s’amuser dans une rue, le 2ème plan représente une ville pavillonnaire typique des États-Unis des années 1950, avec des maisons symétriques, blanches et des petits jardins.

Mais ce qui est le plus étonnant dans cette peinture, c’est l’aspect usé et vieux du tableau, comme une photo vieillie. C’est dû au fait que Marschall colle des morceaux de papiers sur une toile et cherche à donner un aspect vieux, abîmé et en relief à sa peinture. Il rajoute aussi de la peinture blanche qui donne un aspect fantomatique et inquiétant à la ville. Dans le ciel, on voit des colombes avec des rubans, elles sont ici pour représenter le « rêve américain ».

 

Si on se penche plus sur le tableau, on remarque qu’il est en réalité très inquiétant. Les enfants sont effrayés et fuient la ville, poursuivis par le chien. Les maisons semblent oppressantes. Mais surtout, le plus frappant, c’est l’aspect « faux » de cette ville. Tout est trop parfait, trop droit, trop lisse. Les formes blanches ressemblent à des fantômes menaçants. Si on regarde bien, Marschall a rajouté un élément de la culture afro-américaine, la borne d’incendie. L’été à New York, les jeunes enfants afro-américains ont l’habitude d’ouvrir ces bornes, surnommées « johnnypump » pour se rafraîchir. Elle symbolise cette jeunesse New Yorkaise populaire. La borne a déjà été représentée par Basquiat notamment dans « Boy and Dog in a JohnyPump » de 1982.

 

On voit donc que Marschall critique la vision américaine. Cette ville représente le cliché du « Rêve Américain », mais un rêve lisse, creux, vide. Mais surtout à travers ce tableau, Marschall critique la ségrégation, ces HLM étaient souvent pour les familles afro-américaines. La société les forçaient à vivre ici, et les coupaient du reste de la société américaine.

 

2 lectures sont possibles de ce tableau.

La première est optimiste : ce tableau montre que malgré la dureté des conditions de vie, les afro-américains arrivaient à être heureux, à persévérer. Les oiseaux et le soleil qui se lève, semblent apporter un espoir à ces familles qui vivent là. Le départ des enfants semble être un voyage vers un avenir meilleur, la figure maternelle est présente et veille sur les enfants.

La deuxième lecture est beaucoup plus sombre, mais est la plus probable. Ce tableau est inspiré d’une pièce de théâtre du même nom de Thornton Wilder de 1938, qui met en scène une ville utopique où les gens sont tristes et malheureux à l’intérieur. Cette ville semble identique, parfaite à l’extérieur mais dure à l’intérieur. Marschall renverse ironiquement les valeurs américaines, comme Basquiat dans « Per Capitat » ; il reprend des symboles américains comme la colombe, ces HLM identiques …  ces symboles excluent les noirs, ils ne se sentent pas appartenir à cette ville, à cette vie c’est donc pour ça qu’ils semblent pressés de la quitter. Ce tableau ressemblant à une carte postale, Marchall semble nous dire ironiquement «  Bienvenue aux États-Unis ... » à travers cette carte postale.

 

Personnellement, j’interprète ce tableau différemment. Cette ville ressemble à la ville typique pour les blancs américains, ces enfants noirs s’en vont car ils sont chassés de cette ville qui ne veut pas d’eux par le personnage au fond et le chien qui les poursuit. Les formes blanches semblent aussi menaçantes envers ces enfants, comme pour les presser de partir, pour leur montrer qu’ils ne sont pas à leur place.

 

Ce tableau montre une double émancipation de Marschall. L’émancipation est culturelle : il critique et renverse la vision américaine typique de ces années. Il critique aussi cette société qui séparent les blancs et les noirs. Marschall connaît particulièrement bien ces villes car il y a lui même vécu dans son enfance, il a vécu cette séparation sociale.

Il s’émancipe aussi sur la technique : Marschall colle des papiers sur la toile pour créer une irrégularité, un aspect vieux et dépassé. Il implante aussi des images extérieures qui donnent un aspect  déroutant et dérangeant à cette ville. Grâce à ces éléments, Marschall arrive particulièrement bien à recréer un décor vieillot, qui semble tout droit sortir des années 1950, il arrive aussi à faire ressortir cette aspect « faux » et « creux » de ces villes.

 

J’ai particulièrement apprécié cette œuvre, notamment le fait que Marschall nous déstabilise en présentant un tableau aux abords joyeux, mais qui change vite quand on le regarde de plus près. Je trouve aussi que ce qu’il dénonce est important et encore d’actualité dans certains pays.

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