Faith Ringgold, Women on a Bridge #1
of 5: Tar Beach, courtepointe couverte de peinture acrylique, d’encre et de
fils, 189,5×174 cm, Musée Guggenheim de Bilbao
(Espagne), 1988
Dès
le premier coup d’œil, c’est une explosion de couleurs. On ne comprend pas très
bien ce qui nous arrive : c’est un feu d’artifice d’informations. Les
couleurs se mélangent et s’assemblent pour former un très joli patchwork de
tissus aux différents motifs qui encadrent un bien joli paysage… Tiens, c’est
étrange, il semble y avoir du relief à ce qu’on croyait être un simple tableau.
Si l’on y regarde d’un peu plus près, on aperçoit des sortes de surpiqûres
blanches au centre de cette toile ; comme s’il s’agissait d’une grosse
couette bien moelleuse destinée un mignon petit enfant. Et tiens, parlons en
des enfants. À vu de nez, il y en a deux : un petit garçon et une fille un
peu plus âgée. Tous les deux ont une très jolie peau couleur chocolat chaud et
des cheveux café très noir. Ce frère et cette sœur sont habillés de jolis
vêtements : une mignonne salopette pissenlit et des chaussettes en ciel
pour le plus petit et une robe chantilly saupoudrée de vermicelles roses pour
sa sœur. Comme ils sont mignons tous les deux, ils ont l’air si paisibles et en
même temps si… concentrés. Tous les deux sont allongés sur un immense nuage qui
survole le toit de leur immeuble. Leurs quatre petites billes de lait sont
grandes ouvertes et observent… Les étoiles ! Comme elles sont jolies ces
étoiles, elles brillent comme des diamants et se détachent de la voûte en
saphir. Mais… ne serait-ce pas la petite Cassie Louise Lightfoot dans le
fond ? Si, si, c’est bien elle. Âgée de seulement 8 ans, elle rêve déjà
très grand ; la preuve : elle vole !
Tout
d’abord, elle s’élève doucement, avec prudence et quitte peu à peu le sol
argileux du toit de son immeuble. Elle voit rapetisser à vue d’œil les jolies
plantes multicolores que sa maman aime tant, ainsi que le linge qui ondule
doucement par cette chaude soirée d’été. Il en est de même pour la table à la
nappe aux bulles, devenue à présent aussi grande qu’une maison de
poupées ; mais heureusement, la petite Cassie peut toujours sentir la
délicieuse odeur qui se dégagent des pilons de poulet que sa voisine a apporté
pour le dîner. À présent, elle n’entend presque plus la conversation des
adultes : leurs voix se mélangent avec les couleurs et les odeurs, ne
formant plus qu’un immense tourbillon de sensations chaleureuses et tendres. Cassie
ne voit plus désormais de son immeuble qu’un petit carré orange, un autre bleu
turquoise et puis ça y est ; eux aussi ont disparu. Désormais, elle
survole la ville endormie… enfin endormie ? Pas vraiment ; malgré
l’heure tardive, des milliers d’immeubles et de parcs brillent de mille feux et
je l’avoue, c’est un bien joli spectacle à observer ; je vous le conseille
fortement. Maintenant, la petite Cassie plane dans un bonheur immense, presque trop fort pour être supporté.
Elle sent une grosse boule se former dans son ventre, remonter le long de sa
gorge avant de s’échapper… par un immense cri de joie !
Car
cette petite fille qui s’est échappée du toit de son immeuble, elle aime son
papa. Elle aime aussi sa maman et son petit frère, ainsi que les voisins du dessous
qui sont venus dîner en cette chaude soirée d’été. Mais malgré l’amour, une
sensation triste et lourde envahit plus
souvent que Cassie ne le voudrait leur petit appartement, car le papa de Cassie
a du mal à avoir un bon travail et assez d’argent pour nourrir sa famille. Ça,
Cassie en connaît la raison ; car elle a déjà entendu des gens le dire en
chuchotant dans leur dos ou bien en les montrant carrément du doigt :
c’est parce que sa couleur de peau est noire. D’ailleurs, elle a l’habitude
d’entendre les gens autour d’eux leur inventer toutes sortes d’origines et la
vérité, c’est que Cassie se rappelle d’avoir toujours vécu dans son petit
appartement, avec son papa qui n’est pas toujours à la maison car il travaille
très dur, plus dur que n’importe qui. Son papa est un employé du pont Georges
Washington, le même que Cassie est en train de survoler et elle rêve. Elle rêve
que le pont Georges Washington est un superbe collier de perles qui coûte très
cher et qu’elle peut mettre autour de son joli petit cou. Elle rêve qu’elle
peut donner à son papa tout ce qu’elle veut : elle n’a qu’à tendre la main
et le prendre. Elle peut maintenant toucher et prendre n’importe quels
bâtiments où son papa voulait travailler mais n’a pas été accepté. Elle rêve même
qu’elle peut attraper les étoiles et les donner à ses parents. Elle rêve que
maman ne pleure plus le soir et que son papa soit là tous les jours.
Par A. Karniewicz
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