E.Hopper, Le Phare , 1937

E.Hopper, Le Phare , 1937

mercredi 10 juin 2020

Critique de " Apollon et Daphné " par Le Bernin (1622/1625)

Les élèves de première Histoire des Arts (spécialité) ont travaillé sur le rôle de l’écrit dans l’accès aux œuvres d’art, en particulier dans le cadre de la modernité. C’est ainsi que nous avons étudié des textes de Félix Fénéon, Jean Paulhan, Wassily Kandinsky, René Magritte et Anish Kapoor. Comme En conclusion de cette séquence, chacun a écrit une critique d’art sur une œuvre de son choix. C’est l’une d’elle que vous vous apprêtez à lire. 





C’est entre 1622 et 1625 que Le Bernin créer une sculpture appelée Apollon et Daphné.  Cette œuvre fait partie d’une commande de 4 statues antiques pour la villa du cardinal Scipion Borghèse, à Rome, où elle se trouve toujours.
Bien plus qu’une sculpture, ce bloc de marbre représente une histoire : l’histoire mythologique de la nymphe Daphné et d’Apollon, dieu des arts, de la lumière et de la beauté masculine (à ne pas oublier). Un beau jour, Apollon se moqua du dieu de l’amour Eros (Cupidon), se ventant de mieux tirer à l’arc que lui. Blessé dans son orgueil, ce dernier entreprit de se venger. Et quelle meilleure vengeance pour Cupidon que de rendre un homme fou amoureux d’une femme qui ne l’aimerait pas en retour ? Il décocha alors deux flèches : une de plomb sur la belle nymphe Daphné, la dégoutant de l’amour, et une autre d‘or sur Apollon, le rendant fou de Daphné. A peine Apollon eut posé les yeux sur la nymphe qu’il voulut absolument qu’elle devienne sienne. Il la poursuivait sans cesse mais elle le repoussait à chaque fois, insensible à ses avances (je rappelle qu’Apollon était le dieu de la beauté masculine ! mais bon… Daphné est dégoutée de l’amour…). Un énième jour qu’il la pourchassait, le dieu était à deux doigts de mettre la main sur la femme qu’il convoitait tant. Daphné, effrayée par son prétendant et fatiguée de toujours tenter de lui échapper pria son père, le dieu du fleuve Pénée (oui oui c’est possible d’être le dieu d’un fleuve en particulier), de lui retirer sa si belle apparence. C’est alors que, pratiquement dans les bras d’Apollon, elle se transforma en laurier. Le dieu toujours éperdument amoureux cueilli une branche de l’arbre et dit : « Puisque tu ne peux pas être mon épouse, tu seras mon arbre ». Et à compter de ce jour, la branche de laurier devint le symbole d’Apollon.
Cette histoire est racontée dans Les Métamorphoses d’Ovide et Le Bernin a justement choisit de représenter la transformation de Daphné (bon c’est peut-être aussi parce que c’est la partie la plus intéressante). Seulement, il y a un ordre de lecture particulier de l’œuvre : l’histoire est racontée comme dans un livre. J’insiste mais je me suis peut-être mal exprimée premièrement sur le fait que cette œuvre raconte une histoire (à dire vrai toute œuvre mythologique représente une partie d’une histoire mythologique). Ce que je voulais dire c’est que Le Bernin ne s’est pas contenté de faire une statue au beau milieu de la transformation, il a réécrit l’histoire.
Premièrement, on voit Apollon de dos, on comprend qu’il pourchasse quelque chose, qu’il lui court après. En tournant autour de la statue dans le sens des aiguilles d’une montre on découvre que « l’objet de chasse » est en fait une femme (Daphné). Peu après la partie gauche de l’œuvre (sous entendu l’image jointe de gauche) est dévoilée et l’on comprend que cette femme tente de fuir. On arrive ensuite face à Daphné, on ne comprend pas tout à fait ce qu’il se passe, elle à l’air comme « immobilisée », on remarque quelque chose sur ses jambes qui commence à la recouvrir (on ne comprend pas tout de suite que c’est de l’écorce). Enfin, on découvre la partie droite de l’œuvre (l’image de droite), et l’on comprend que la pauvre se transforme en laurier.
C’est ce qui est absolument magnifique dans cette œuvre : on a beau ne pas forcément connaître l’histoire d’Apollon et Daphné, on la comprend car elle y est racontée. Je trouve ça fascinant qu’un bloc de marbre de 2m43, fait de ce matériau si lourd et si immobile, représente en fait l’évolution d’une histoire et paraisse donc en mouvement.
J’ai d’ailleurs beaucoup de respect pour les sculpteurs (pour n’importe quel artiste également mais) leur art est vraiment très difficile. Ils sont confrontés à un grand bloc de pierre et doivent imaginer ce qu’ils pourraient tailler dedans. Une fois cela fait, ils doivent faire apparaître l’œuvre qu’ils imaginent. Cependant, ils sont contraints d’apporter une sorte de « socle » à leur œuvre afin d’éviter que leur sculpture s’écroule. De plus, le moindre coup de marteau en trop ou la moindre imperfection dans le marbre peut détruire leur travail... Ils n’ont pas de seconde chance ou la possibilité, comme les peintres, de recouvrir d’une autre couche de peinture. C’est pourquoi, je trouve qu’on apprécie d’autant plus leur travail : la finesse et les détails d’une sculpture sont, à mon sens, d’autant plus satisfaisants que ceux d’une peinture car plus complexes à réaliser. Ici, la légèreté du voile d’Apollon, les mains et cheveux de Daphné qui se confondent en feuilles, la finesse de l’écorce qui commence à se former sur les jambes de la nymphe, l’anatomie des deux personnages et leur position si complexe mais en même temps si naturelle (si humaine !), sont les détails si travaillés qui font que cette œuvre est magnifique.
Par Nina Stojkovitch



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