Les élèves de première Histoire des Arts (spécialité) ont travaillé
sur le rôle de l’écrit dans l’accès aux œuvres d’art, en particulier dans le cadre
de la modernité. C’est ainsi que nous avons étudié des textes de Félix Fénéon,
Jean Paulhan, Wassily Kandinsky, René Magritte et Anish Kapoor. Comme En conclusion
de cette séquence, chacun a écrit une critique d’art sur une œuvre de son
choix. C’est l’une d’elle que vous vous apprêtez à lire.
« Manège de cochons » ou comment
entendre à travers la peinture.
L’œuvre, qui s’inscrit dans une série
consacrée aux scènes de la vie urbaine moderne, nous emmène dans une
fête-foraine parisienne en nous reproduisant le mouvement, le son et les
lumières qu'elle laisse échapper. Des bottines noires et quelques cochons de
bois, éléments du cirque, comme engloutis dans les tourbillons créés par les
cercles qui ne se ressemblent jamais : des cercles de couleurs, de formes,
de tailles différentes. Des cercles qui s'assemblent et qui ont l'air de se
déplacer, de rouler, et qui nous rappellent le mouvement des manèges. Beaucoup
de cercles qui forment l'ensemble du tableau. Des cercles colorées qui
illuminent Paris, des cercles placés dans tous les sens, comme peuvent l'être
les foules d'une foire.
Une peinture colorée, illuminée et
mouvementée, tout comme la ville lumière et ses spectacles populaires que
Delaunay représente ici dans l’idée de l'orphisme : comme une peinture
musicale. Il ne dessine pas d'instrument, pas de carrousel, pas de foule, mais
nous les voyons et les entendons.
Un seul portrait, celui de son ami et
poète Tristan Tzara, crée un contraste dans l'image. Un homme simple et bien
habillé, englouti par tout ce remue ménage qu'est ce manège de cochons. Un
homme également qui rappelle le lien étroit qu'il y a avec une peinture
orphique et la poésie.
De simples cercles colorés qui donnent
une ambiance, une histoire à l’œuvre et éveil donc pour cela l'imagination du
spectateur. Voilà ce qui est plaisant chez Delaunay et dans l'art
moderne : le pouvoir de raconter une même scène de mille façons
différentes ; le pouvoir de raconter n'importe quoi ; le pouvoir de
ne rien raconter et être tout de même intéressant ; le pouvoir de
découvrir les couleurs et les lignes et de les utiliser comme bon lui
semble ; le pouvoir de créer, de penser autrement. L'art moderne est
liberté.
Parfois, comme ici, le titre est (ou
presque) le seul à donner le contexte. Seule, la peinture peut donner milles
interprétation différentes, et même avec le titre, les cercles sont des
manèges, des notes de musiques, une foule, de la lumière...
Il est vrai, en effet, qu'après avoir
vu, trois, quatre tableaux du peintre l'ennui commence à s’installer. Les
cercles et les couleurs commencent à nous désintéresser.
Mais quand les cercles commencent à
nous ennuyer l'art moderne nous montre encore son pouvoir : il y a encore
différentes formes de cubisme à découvrir, des dizaines de mouvements, de façons de peindre à
admirer. L'art moderne est
liberté car les artistes ne se limitent plus à des règles et devient créateur
sans limite. Qui aurait dessiné un manège de cette manière s'il n'était pas
Delaunay ?
A travers des cercles colorés, l’artiste s'ouvre au
spectateur, et ne se contente pas de dessiner un simple manège de cochons. Il peut
partager sa vision des choses et ses goûts grâce à un sujet simple, et les
spectateurs pourront ressentir mille choses différentes malgré ce même sujet
simple : un sujet simple ne
fait pas forcément une
peinture simple.Par E. Popowski
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