E.Hopper, Le Phare , 1937

E.Hopper, Le Phare , 1937

vendredi 5 juin 2020

Critique de "Manège de cochon " de Robert Delaunay (1922)

Les élèves de première Histoire des Arts (spécialité) ont travaillé sur le rôle de l’écrit dans l’accès aux œuvres d’art, en particulier dans le cadre de la modernité. C’est ainsi que nous avons étudié des textes de Félix Fénéon, Jean Paulhan, Wassily Kandinsky, René Magritte et Anish Kapoor. Comme En conclusion de cette séquence, chacun a écrit une critique d’art sur une œuvre de son choix. C’est l’une d’elle que vous vous apprêtez à lire. 



« Manège de cochons » ou comment entendre à travers la peinture.

L’œuvre, qui s’inscrit dans une série consacrée aux scènes de la vie urbaine moderne, nous emmène dans une fête-foraine parisienne en nous reproduisant le mouvement, le son et les lumières qu'elle laisse échapper. Des bottines noires et quelques cochons de bois, éléments du cirque, comme engloutis dans les tourbillons créés par les cercles qui ne se ressemblent jamais : des cercles de couleurs, de formes, de tailles différentes. Des cercles qui s'assemblent et qui ont l'air de se déplacer, de rouler, et qui nous rappellent le mouvement des manèges. Beaucoup de cercles qui forment l'ensemble du tableau. Des cercles colorées qui illuminent Paris, des cercles placés dans tous les sens, comme peuvent l'être les foules d'une foire.
Une peinture colorée, illuminée et mouvementée, tout comme la ville lumière et ses spectacles populaires que Delaunay représente ici dans l’idée de l'orphisme : comme une peinture musicale. Il ne dessine pas d'instrument, pas de carrousel, pas de foule, mais nous les voyons et les entendons.
Un seul portrait, celui de son ami et poète Tristan Tzara, crée un contraste dans l'image. Un homme simple et bien habillé, englouti par tout ce remue ménage qu'est ce manège de cochons. Un homme également qui rappelle le lien étroit qu'il y a avec une peinture orphique et la poésie.
De simples cercles colorés qui donnent une ambiance, une histoire à l’œuvre et éveil donc pour cela l'imagination du spectateur. Voilà ce qui est plaisant chez Delaunay et dans l'art moderne : le pouvoir de raconter une même scène de mille façons différentes ; le pouvoir de raconter n'importe quoi ; le pouvoir de ne rien raconter et être tout de même intéressant ; le pouvoir de découvrir les couleurs et les lignes et de les utiliser comme bon lui semble ; le pouvoir de créer, de penser autrement. L'art moderne est liberté.
Parfois, comme ici, le titre est (ou presque) le seul à donner le contexte. Seule, la peinture peut donner milles interprétation différentes, et même avec le titre, les cercles sont des manèges, des notes de musiques, une foule, de la lumière...
Il est vrai, en effet, qu'après avoir vu, trois, quatre tableaux du peintre l'ennui commence à s’installer. Les cercles et les couleurs commencent à nous désintéresser.
Mais quand les cercles commencent à nous ennuyer l'art moderne nous montre encore son pouvoir : il y a encore différentes formes de cubisme à découvrir, des dizaines de mouvements, de façons de peindre à admirer. L'art moderne est liberté car les artistes ne se limitent plus à des règles et devient créateur sans limite. Qui aurait dessiné un manège de cette manière s'il n'était pas Delaunay ?
A travers des cercles colorés, l’artiste s'ouvre au spectateur, et ne se contente pas de dessiner un simple manège de cochons. Il peut partager sa vision des choses et ses goûts grâce à un sujet simple, et les spectateurs pourront ressentir mille choses différentes malgré ce même sujet simple : un sujet simple ne fait pas forcément une peinture simple.

Par E. Popowski






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire